11. Chambre

Donc vous allez entrer, mes chéris. Entrer dans la chambre à droite. Vous allez pousser la porte sur laquelle une grande photo est punaisée, une photo de forêt tropicale enchevêtrée, avec des lianes et des tiges… Et vous deux, derrière cette porte, à quels enchevêtrements allez-vous vous livrer ? Dans quelle torpeur torride allez-vous plonger ? Quelle vitalité originelle allez-vous retrouver ?

Là, il se passe une chose, lecteur, c’est qu’au moment du passage à l’acte, le narrateur hésite à narrer. C’est lui qui a du mal à pousser la porte… Aie ! Aie ! Aie ! La scène d’amour ! L’inévitable scène d’amour ! L’amour ! L’amour ! L’amour partout, l’amour sur les murs, sur les écrans, sur les papiers, notre monde déborde de signes d’amour, il vomit les images d’amour, il les dégueule les histoires d’amour ! Tu peux pas y échapper, on te la jette à la tête toute la journée, la tarte à la crème de l’amour, à la crème bien douce, bien grasse, c’est bon quand c’est doux, quand c’est gras ! Nous sommes des oies gavées à l’amour bien au-delà de l’écœurement. Et ça fait pas du foie gras… Peut-être que ça fait le cœur gras ?

Mais, au fait, qui te dit que, dans la chambre à coucher, tu vas coucher ? Il faut savoir. Ne balançons plus ! Entrons !

Et tu pousses la porte, ça faisait un moment qu’elle t’invitait à le faire, elle voulait que ce soit toi qui passes le premier, qui ouvres, qui pousses lentement le panneau de bois pour découvrir… découvrir… Horreur ! C’est la cuisine !

Tu aurais dû t’en douter, tout de même ! La chambre est en haut, la cuisine est en bas, c’est une maison comme les autres. C’était ça, le truc ! Veux-tu entrer dans la chambre ? Hop ! Te voilà dans la cuisine ! Elle te mène en bateau ! Elle fait de toi ce qu’elle veut. Vas-tu te laisser faire ? Tu sens qu’elle te regarde. C’est maintenant qu’elle te jauge, qu’elle te juge. Là, pour bien faire, tu devrais éclater de rire, ou mieux : vous devriez éclater de rire tous les deux en même temps. Mais elle reste imperturbable. Alors tu as une idée, une intuition. Tu t’exclames :

– Très jolie chambre ! Intime ! Feutrée ! Harmonie des couleurs et des objets… Quel lit confortable ! (Tu montres la grande table de bois) Tu as même la télé (Tu montres le four électrique) Et là tu as tes livres et tes CD…

Et tu désignes, sur les étagères et derrière la vitre du buffet vieillot, les boites, les sachets, les bocaux, les épices. En tout cas, elle a des provisions ! Et sa cuisine est accueillante : le bouquet de pivoines sur la table, la cuisinière en inox, les casseroles, les louches et les couteaux suspendus, une vraie photo de magazine, mais en plus vivant, avec beaucoup plus d’objets, des traces humaines, un torchon sur une chaise, des livres mal empilés sur une autre… Il y a là, justement, un gros livre de cuisine.

– Oh ! dis-tu, le Kamasoutra ! On va pouvoir choisir quelle performance nous allons réaliser ensemble !

Et là tout de même, la belle daigne sourire et l’auteur vous autorise à vous embrasser.

Passons sur la suite. Quoi ? Tu veux qu’on te la raconte ? Tu n’as qu’à l’imaginer toi-même. L’auteur ne va quand même pas t’expliquer ce que tu connais mieux que lui. Tu t’en doutes, la suite n’est pas triste, elle n’est pas froide, aucune lassitude, pas de contrariété, pas de retenue non plus, pas d’ombre au tableau, pas d’anicroche, pas de moment difficile, pas de pesanteur, pas de défaillance, pas de gène, pas de malaise, pas de malentendu, pas de déception, pas d’hésitation, pas de ralentissement, pas de nervosité non plus, pas de pudeur, pas de souci, pas d’embrouille, pas de malheur, pas d’histoire, quoi, pas d’histoire… rien à dire. Rien à dire. On rentre. Allez ! Hop ! A la maison !

Si, je t’assure que tu dois rentrer, ça fait deux jours et trois nuits que vous n’êtes pas ressortis de chez elle, baisant dans la cuisine et mangeant dans la chambre et parfois le contraire, vous commencez à fatiguer, non ? Crois-moi, il faut te reposer maintenant. Rentrer chez toi. Commence par regagner la ville où tu pourras prendre le train. Marche d’abord dans la banlieue, tranquillement, histoire de remettre un peu d’ordre dans tes esprits. Mais voilà que la pluie se met à tomber. Passe au chapitre 17

Mais j’entends protester le lecteur critique qui ne veut pas marcher sous la pluie. Il réclame un choix. Alors, quand il y a un choix, tu le refuses, mais quand il n’y en a pas, tu en réclames ! L’auteur a bien envie de t’expédier au chapitre 48…