27. Fuir

Tu entends le haut parleur :

– Rendez vous sans hésiter, sans résister !

Toi, tu n’as aucune intention de te rendre, de te vendre. Mentalement, tu fais le tour de la situation, de la question. Tu es cerné par la police. Inutile de demander le droit d’asile au curé, il est avec eux, il est prêt à te pousser dehors, te jeter, te rejeter pour vaincre le mal, rétablir l’ordre établi, sauver la patrie, que veux-tu, on peut pas toujours tomber sur l’abbé Pierre. Que ferait James Bond pour se tirer d’un cas pareil, pour lui tout à fait banal ? Un hélicoptère au sommet du clocher ? Une sortie éclair en moto bolide bondissant par dessus les attaquants médusés ? Un souterrain menant aux catacombes? Oui, un souterrain ! Le héros a toujours un souterrain sous la main, sous les pieds ! Où trouver son accès secret ? Aussitôt pensé, aussitôt agi : d’abord, pour donner le change, tu cries en direction de la sortie, du parvis où ils t’attendent, où leur piège ils te tendent :

– Je me rends, je me rends !

Et tu pars en courant dans l’autre sens ! Sapristi ! Où est la sacristie ? Là, la porte verte, entrouverte ! Tu t’engouffres, tu la claques derrière toi, tu tournes la clé. C’est bien ça, la sapristi, la sacristie ! Les grands placards, l’autre porte, vite fermer l’autre porte ! Le verrou ! ça y est sauvé ! Tu as mis le verrou !

Et maintenant tu vas vers où ?

Pourquoi as-tu stupidement décidé qu’il existait un passage secret dans la sapristie, la sacristie ? Te voilà enfermé, coincé, piégé, coffré, prisonnier… c’est pas très fin, pas très malin… Je dirai même que c’est couillon. Il faut pourtant que tu t’en sortes, que tu t’exportes.

Mais la porte du placard s’ouvre. Le petit curé apparaît. Il y a un passage par là ! Ils vont tous sortir du placard, les flics, les ennemis, les autres…

Le curé :

– Réfléchissez, mon enfant…
– D’où vous sortez ?
– Il faut savoir passer par la porte étroite.

Et, d’un geste arrondi, il t’invite à entrer dans le placard. C’est un piège ! Il veut te ramener en douceur vers les forces de mordre, les forces de l’ordre. Tu dois ruser, biaiser… Embobiner l’embobineur ? ça sera dur ! Quelle est sa faiblesse ? C’est justement de croire qu’il peut t’avoir ! Tu dois lui laisser croire que tu envisages la reddition.

– Si je passe par là, ça me mène où ? A me rendre, c’est ça ?
– Si vous vous rendez, vous atténuez votre cas.

Hypocrite ! Menteur ! Lectrice, lecteur, tu le sais parfaitement, il n’y a qu’une seule règle à suivre : ne te rends jamais, n’avoue jamais !

– Est-ce que l’église peut me donner asile ? (Oui, c est bon ça ! tu lui donnes le beau rôle !) Je veux me repentir dans un monastère (Là tu exagères un peu, non ?)
– Dans ce cas, c’est différent. (ça alors ! C’est les trucs les plus gros qui marchent ! Continue ! )
– Allez leur parler ! J’ai confiance en vous ! Obtenez-moi un délai !

Et il y va ! Incroyable ! Il retourne par le faux placard et referme la porte derrière lui. Toi, tu fais ni une ni deux, tu pousses la grosse table pour barricader le placard, et tu ouvres la fenêtre, c’est une petite cour, tu ne vois personne, vite tu enjambes, c’est pas haut, tu t’agrippes aux chéneaux pour descendre, le truc te reste dans les mains… Chute.

Chute amortie par une pile de déchets, de cartons. Vite ! Relève-toi ! Là, le long du mur, le petit escalier qui descend vers la cave, le sous-sol. Il est là, sous tes yeux, ton souterrain ! En bas, la porte en bois vétuste cède sous ta poussée. Vite ! Avancer dans le couloir étroit. Maintenant tâtonner dans l’obscurité. Un espace sur la droite. La lueur d’un soupirail. Cave exigüe avec des vieux outils, des trucs poussiéreux. Coincé : c’est sans issue ! Non ! Là, derrière cette planche, un trou dans le mur. T’y glisser, t’y insérer, en laissant la planche retomber sur l’ouverture. A quatre pattes dans le boyau obscur, les mains, les genoux sur la terre humide. Le boyau descend, de l’eau coule pas loin, oui, tu entends comme un clapotis, un glouglou. Tu sens de l’espace au dessus de toi, un peu de lumière vient d’en haut, devant toi : un reflet, l’eau est là, elle s’écoule, mais oui, c’est la rivière souterraine qui coule sous la ville ! Elle disparait sous une voûte à gauche. Tu reprends ton souffle. Le chant magique de l’eau t’apaise un peu. Tu voudrais t’asseoir. Ne lambine pas! Tu es poursuivi ! Il faut aller vers l’aval, suivre le courant, entrer dans l’eau, elle va forcément quelque part. L’eau t’arrive à la cuisse, le courant est assez fort mais pas suffisamment pour t’emporter. Tu progresses sous la voûte, vers une lueur que tu vois là-bas. C’est ça ! Continue en sous-sol. Déplace-toi sous la ville. Plus loin, toujours plus loin. Cette histoire n’en finit pas. Il faut pourtant que tu t’échappes. Comment ? Quel véhicule fabuleux, quelle locomotion faramineuse pourra te transporter ailleurs ? Là-bas, on voit le jour, la liberté, tu fonces, tu as de l’eau jusqu’à la taille, tu tombes en avant, tu nages vers la lumière éblouissante, l’extérieur, là-bas, dehors, tu vois le ciel à travers la grille, il y a une grille, tu es piégé, l’eau s’écoule entre les barreaux, pas toi, tu restes là, agrippé, plaqué par le courant contre la ferraille, regardant dehors, le soleil, la rivière tranquille dans laquelle la tienne vient se jeter…

Mais sur la droite, tu vois des barreaux tordus, écartés, oui par là, ça passe, tu te glisses par le trou, tu sors, tu escalades le talus, te voilà au sec, tremblant de froid, tu t’aperçois soudain que l’eau était froide.

A côté de toi il y a des voitures garées, l’une d’entre elles est attelée à une caravane avec la porte ouverte. Ton envie de fuir est telle que tu n’hésites pas, tu rentres dans la caravane, il n’y a personne, tu te caches sous la table, ridicule ! on va te voir, eh bien non, quelqu’un claque la porte et donne un tour de clé, la voiture démarre et la caravane avec, ça secoue drôlement, tu bouges pas, avec terreur tu penses au tour de clé, tu es enfermé, emporté, et s’ils partaient te livrer à la police ? La porte va s’ouvrir, ils vont te prendre…

Mais non, le voyage dure longtemps, c’est bon signe, mais tu t’inquiètes quand même, tu n’oses pas bouger, pas relever la tête, d’en bas, tu vois des trucs par les vitres de la caravane, des murs, des arbres qui défilent, maintenant tu sens les virages, tu es bousculé, basculé, coincé sous ta table d’où tu ne veux pas sortir, à présent ça roule mieux, asphalte bien lisse, accélération, ralentissement, stop, le moteur tourne encore, on est sous un porche en béton, oui c’est un péage d’autoroute, merde, il y a toujours un flic au péage, s’il regarde dans la caravane t’es foutu, on redémarre, on est parti, tu as gagné ! Tu pars en vacances !

Plus la voiture roule, plus tu te réjouis, tu échafaudes des plans pour sortir de ta prison roulante quand elle s’arrêtera, mais pas tout de suite, non, pas tout de suite, pourvu qu’elle aille très loin !

Et en effet, elle va très loin, vers le sud, d’après le soleil couchant qui vient de la droite. Tu t’organises. Sans jamais laisser dépasser ta tête, tu t’es séché avec une serviette de bain qui pendait là, tu as pris une couverture pour te protéger, des coussins pour t’allonger sur le sol. Il y a eu des arrêts, ils ont pris de l’essence, ils t’ont laissé longtemps sur le parking de l’autoroute, tu aurais bien toi aussi mangé quelque chose, mais ils sont repartis, la nuit est tombée, ils ont roulé longtemps, ils sont passés à un péage, à nouveaux les virages. Arrêt dans la nuit. Bruit de la clé, la porte s’ouvre, toi, dans l’obscurité, sous la table, tu ne t’es jamais fait si petit, les jambes de l’homme sont tout près de ton nez, incroyable, il n’allume pas, il ne te voit pas, il prend juste quelque chose et il redescend. Il referme la porte mais sans donner le tour de clé ! C’est le moment ! Tu sors de sous la table, tu oses relever la tête, regarder dehors par la fenêtre, tu vois le type qui ouvre une barrière, vite, tu ouvres la porte, tu te glisses de l’autre côté, tu pars en courant dans la nuit, tu n’entends pas crier derrière toi, tu cours, tu cours sur la route. Toujours personne ne crie derrière toi. Tu cours dans le silence de la nuit, Tu voudrais t’asseoir, tu ralentis, mais tu cours toujours, puis tu marches, tu te calmes, tu n’arrêtes pas.

Plus tard, épuisé, mais toujours marchant, tu entends la mer. Oui la mer est là, en contrebas, le bruit des vagues.

Tu atteindras la ville, tu marcheras longtemps dans les faubourgs, te rapprochant du centre, tu parviendras au port. Et là, dans un bar encore ouvert, tu rencontreras un marin qui acceptera de te prendre à bord de son voilier.

Et la sérénité, tu la retrouveras au large, au cours de la navigation du chapitre 28.

Mais peut-être as-tu horreur du bateau ? Sentir l’eau mouvante sous le plancher te donne un grand sentiment d’insécurité, sans parler du mal de mer que tu redoutes comme une humiliation. Non, non, tu n’accepteras pas la proposition pourtant faite de bon cœur, tu n’embarqueras pas. Et puis tu as bien réfléchi personne ne te connaissait dans la petite ville ô combien moyenâgeuse, personne ne t’a identifié, probable que tu t’es sauvé si loin inutilement, il est temps maintenant de rentrer chez toi.