67. Plume

Donc, le lecteur va prendre la plume. Fatalement. Peut-être que le lecteur a déjà l’habitude d’écrire ? Ou tenté d’écrire ? Ou bien ne s’est encore jamais lancé ? Qu’importe ! Voilà le lecteur en position de devenir l’écriveur.

Le lecteur est installé pour. Un ordinateur ? Ou un bloc de papier à lettre bien blanc avec un stylo plume ? Ou bien un cahier d’écolier avec un simple stylo-bille ? L’important n’est pas là. Bloc à remplir, cahier vierge ou écran vide, toujours un espace est à combler et l’écriveur est seul, absolument seul devant l’infini. Le plus difficile est de commencer. Poser un mot. Poser un autre. Avancer, toujours avancer. Comme à la boxe. Ne pas reculer. Ne pas chercher la fin. Ne pas prévoir la suite. Tirer sur le fil. Écrire est une improvisation. La plume n’est pas si différente du masque. Avec la possibilité, toutefois, de jeter le papier sur lequel l’improvisation a été jetée. Combien de textes, ainsi, n’atteindront jamais un lecteur ? Combien de messages, combien de bouteilles à la mer ne seront pas reçues ? Non, oublier les possibilités d’échec. Ecrire. Ecrire en croyant à la publication, écrire pour un lecteur, s’adresser à.

Le livre pourrait comporter des contraintes formelles, par exemple des manques, des absences, des disparitions, variables suivant les chapitres. Par exemple : écrire sans le verbe être. Ensuite, proposer des choix au lecteur, aller à tel chapitre ou à tel autre en fonction de ses goûts, de son caractère, de ses inclinations particulières. En résumé : un labyrinthe placé sous le double signe du manque et du choix, l’ouvrage est quasiment conçu ! Et rien n’interdit de rêver que l’œuvre ainsi écrite aurait, aura quelque chose d’unique.

Entre parenthèses, le lecteur voulant toucher du doigt l’effort, la transpiration et pour finir, la jubilation, de l’écriture sous la contrainte peut, si ce n’est déjà fait, déambuler jusqu’au chapitre 55.

Cependant le lecteur hésite encore avant de devenir écriveur. Ce projet pourtant formulé de façon impersonnelle, ressemble un peu trop au projet de l’auteur. Pas besoin d’être grand clerc pour soupçonner l’auteur d’avoir simplement voulu révéler le cahier des charges de son ouvrage (cahier des charges qu’il a d’ailleurs oublié en cours de route au fur et à mesure que le livre se mettait à exister)

Ou peut-être que le lecteur voudrait écrire, mais jamais ne trouve les bonnes conditions, de calme, de concentration, de sérénité, pour s’y mettre ? Eh bien, justement, l’auteur connaît un endroit loin du bruit, un lieu, une retraite idéale pour écrire, à découvrir au chapitre 40.

Dernière proposition pour écrire : contribuer à ton roman. Oui, le lecteur, la lectrice, peut ajouter sa pierre à l’édifice en se rendant au chapitre 76.

Non ? Finalement le lecteur décide de rester lecteur. Mais où aller ? Reprendre l’ouvrage au début et explorer d’autres choix ? Quel début ? Nombreux sont les chapitres qui pourraient faire office de début. Si le lecteur ne veut pas recommencer au chapitre 1, l’auteur lui propose le 12. Oui, le 12 peut aussi constituer un bon début. Ça se passe à la sortie du supermarché, une dame a renversé son caddy, et toi, lectrice lecteur, tu vas lui rendre service.