78. Amanita muscaria

(Contribution de Pozitam)

En sortant du troquet infâme, j’étais déprimé et de mauvaise humeur… et même cafardeux et aussi fatigué. Je suis retourné chez moi et j’ai bu trois ou quatre verres d’un mauvais vin qui traînait par là, pensant contrarier le désagréable effet excitant du thé dégueulasse de l’autre pomme à tartes, dont je n’avais certes avalé qu’une demi tasse, puis je me suis couché sur le lit défait et je me suis endormi. Un cauchemar m’a réveillé. Je suis resté plusieurs minutes tout imprégné de l’ambiance horrible du mauvais rêve : une bande de prédateurs malfaisants venaient d’instaurer sur notre pays et une grande partie du Monde, une sorte de fascisme soft où les décisions les plus inconséquentes ou absurdes étaient acceptées par presque tout le monde… La clef du consensus pour ce nouveau Pouvoir tenait à une seule chose, très simple : la peur de la mort, face à une épidémie, certes réelle, mais dont les media et internet grossissaient sans cesse la description de ses méfaits…

Je suis allé à la cuisine. J’ai regardé l’étiquette de cette bouteille de pinard entamée dont j’avais bu avant de m’endormir. Au crayon à papier, d’une écriture qui ne m’était pas familière, quelqu’un avait ajouté ces deux mots : amanita muscaria. Qu’est-ce que c’était que cette salade ? J’avais du mal à me souvenir. C’était un copain d’une copine à ma femme avec qui nous étions allé nous promener, la semaine dernière, dans les forêts voisinant la petite ville où j’habite. D’une manière très surprenante pour un mois de mars, nous avions trouvé trois amanites tue-mouche…

Nous avions alors discuté très longuement sur la toxicité très relative de cet admirable champignon dont l’élégance enfantine fascine ; nous avions évoqué son caractère hallucinogène certain mais dont les différentes descriptions des différents effets ne concordaient pas… Ce copain avait étalé tous les bouquins (se rapportant de près ou de loin à la question) qu’il avait trouvés dans une chambre du deuxième étage et le grenier voisin, deux pièces où j’ai dû entasser environ quatre mille volumes… Ce type a fini par me fatiguer et je suis allé me coucher.

Le lendemain, j’ai été réveillé par les cris de ma femme qui s’engueulait avec sa copine et l’autre gonze amoureux des hallucinations. J’ai entendu claquer la porte. Puis le silence s’est installé. Quand je me suis levé, mon épouse a été très laconique quant à ce qui s’était passé avec ses amis. Je n’ai pas insisté. Ensuite, elle a fait sa valise et est partie, comme prévu, passer quelques jours chez sa mère, centenaire et malade. Elle avait fait la vaisselle avant de partir… mais j’ai curieusement trouvé, sous l’évier, une casserole qui sentait le vin et où traînait encore un peu de liquide rougeâtre et à moitié séché. Peut-être une potion bizarre que ma femme aurait préparée pour sa mère ??? Je n’ai pas cherché à comprendre et j’ai lavé ça. Mais ça sentait le vin ; ce n’était pas du vinaigre ou de la groseille.

Plus tard, j’ai gambergé sur le lien entre la mention manuscrite sur l’étiquette de la bouteille de pinard et la mixture au picrate dont j’avais trouvé le reste dans la casserole sale. Je me suis représenté alors que c’est l’autre dingo qui avait préparé du vin à l’amanite tue-mouche.

Vingt minutes après mon cauchemar, soit une heure et demi après avoir bu le vin d’amanite, je suis sorti dans la rue. Curieusement, il n’y avait presque personne et deux quidams, sur trois rencontrés, portaient une sorte de masque un peu comme dans les hôpitaux… mais c’était des masques de fabrication artisanale. L’un semblait taillé dans une vieux pyjama et l’autre, dans quelque cotillon féminin. Cette ambiance de carnaval me plut.

Je me sentis pris d’une sorte d’ivresse que je ne connaissais pas … À ce moment là, je crois me souvenir d’avoir eu l’impression d’être bousculé et je me suis cassé la figure au bord d’un escalier … J’ai du tomber dans les pommes.

Longtemps plus tard, j’étais à genoux dans l’obscurité.