3. Thé

Tu as lu dans le regard du maître du comptoir tout ce que la boisson nationale anglaise lui inspire de mépris. Il ne s’est même pas enquis de savoir si tu la désirais nature, lactée ou citronnée, ton eau chaude, il s’est éclipsé, des bruits et de la vapeur ont été émis là-bas derrière et il réapparaît porteur d’une infusion brûlante accompagnée d’une innommable collation comportant quelques tranches molles et carrées, affreux produit de l’industrie agroalimentaire, avec un parallélépipède de papier aluminium enveloppant un corps gras insipide d’origine prétendument laitière, ainsi qu’un cube de plastique contenant une gélatine sucrée, vaguement fruitée. Un petit rectangle de papier indique la somme exorbitante à débourser. Que faire ? A quoi bon tergiverser ? Tu t’enfiles le casse-dalle, tu allonges l’oseille, tu as les boules et tu mets les bouts…

Tu te retrouves sur le trottoir, mettant sans conviction un pied devant l’autre… Tu ne sais pas très bien où tu vas. Si tu n’y prends pas garde, tes pas sont en train de te ramener chez toi.

Mais est-ce vraiment ton désir ? La fourmi quotidienne va-t-elle se remettre à trottiner ? Vas-tu reprendre le tricot prosaïque à l’endroit où tu l’as laissé ? On dirait que quelque chose t’incite à ne pas rentrer. Une tendance, une inclination puissante. Une force venue de l’arrière fond de la partie immergée de ton iceberg. Une pulsion bloquant toute velléité de retour au bercail. Tu n’es pas obligé, tu sais. Tu forges ton propre destin ici et maintenant, alors si tu ne veux pas revenir à Ithaque, tu peux repartir à l’attaque. Les contingences, la rationalité économique, les questions de boulot, d’argent, de famille même, tu peux les oublier encore un peu. Et repartir. C’est l’auteur qui t’y autorise.

D’un coup de baguette, magique, l’auteur peut très bien te transporter, je ne sais pas, par exemple, dans une petite ville moyenâgeuse… ou bien dans la solitude des steppes…

 

Note : Nous recevons à l’instant un message d’un lecteur qui prétend que ça ne c’est pas passé du tout comme ça. Quand il est sorti après avoir bu son thé, il n’aurait pas erré dans la ville , il serait rentré directement chez lui.
Mais pas au chapitre maison … plutôt vers un autre chez lui…