41. Hésiter

Tu as hésité. Pourquoi lui courir après ? Pourquoi s’abandonner à ce coup de fou, ce coup de foudre ? D’ailleurs, il est trop tard, la porte l’ascenseur est en train de se refermer. Elle va disparaître à jamais…

Ô toi que j’eusse aimé, ô toi qui le savais !

Tu pourrais t’abandonner avec délice à l’amertume de la fatalité. Mais un type arrive à toute vitesse vers l’ascenseur, interrompt la fermeture et s’apprête à entrer… ça te donne un délai, en fait, il n’est pas trop tard ! Tu pourrais foncer comme lui…

Mais qu’est-ce qui t’arrive ? Te voilà en train de courir vers l’ascenseur ! L’amour t’aurait-il donné soudain des ailes ? Ou plutôt des jambes ? … à la dernière seconde, tu mets ta main pour empêcher la fermeture, ça s’ouvre à nouveau…

– Excusez-moi, dis-tu, heu, je… non, enfin oui…

Te voilà en tête à tête avec elle ! Enfin, non, pas en tête à tête, il y a l’autre, le type arrivé avant toi, qui te regarde d’un sale œil pendant que la porte se referme. Certes, sa présence t’est désagréable, mais est-ce que tu ne le reconnais pas ? Non ? Vraiment ? Réfléchis. Pourquoi est-il arrivé en courant pour prendre précisément cet ascenseur-là ? Pour parler à la fille bien sûr. Exactement comme toi. Seulement lui, il a eu plus de présence d’esprit, il n’a pas hésité, c’est pour ça qu’il est arrivé avant toi. Tu le reconnais maintenant ? Eh oui, c’est ton double, c’est l’autre lecteur, celui qui n’a pas hésité. Certes, il s’est décidé plus vite que toi, mais, grâce à la lenteur de la fermeture, toi aussi, tu as réussi ! Tu te trouves là, avec elle, dans l’intimité de l’ascenseur ! Et avec lui aussi, hélas ! Et vous vous élevez lentement tous les trois vers les étages supérieurs, dans une infernale proximité.

Déjà que tu es d’un naturel hésitant, la présence de cette troisième personne te paralyse. S’ascenseur stoppe. Elle descend. Lui aussi. La porte se referme doucement. Tu ne bouges pas. Tu ne vas pas lui courir derrière. Tu n’as pas osé lui adresser à nouveau la parole. C’est loupé. Tu laisses l’ascenseur t’emporter plus haut. Tu sors à un autre étage, très haut dans l’immeuble, tu erres dans les couloirs. C’est raté, c’est raté, n’en fais pas une maladie. N’y pense plus.

Soit, n’y pensons plus, dit-elle

Depuis, j’y pense toujours.

Tu redescends doucement par un escalier de service. Tu t’assois sur une marche entre deux étages… Tu as une grosse envie de pleurer ? Dirige-toi vers le chapitre 50.

Non ? Tu n’es pas un chialeur ? Tu t’es assis juste pour réfléchir ? D’accord. Regagne ta chambre, prends une douche, couche-toi paisiblement.

La porte de la chambre se referme et son clic te satisfait.

La douche te régénère un peu.

Tu t’allonges.

Tu n’as pas du tout sommeil.

Rien ne t’empêche de te relever et de redescendre au bar pour consommer.