50. Pleurer

T restes là et tu pleures.

Tu ne pleures pas pour ce qui vient d’arriver, ça a juste servi de déclencheur.

Ton mal vient de plus loin.

Tu ne sais pas d’où.

Ta tristesse est comme de l’eau, comme un fleuve, une inondation, elle monte, elle t’emporte. Elle vient des arrières fonds, des temps anciens, des zones obscures, des espaces révolus, elle arrive avec force, elle monte en toi, elle vient d’un point du passé insaisissable mais toujours là, elle est présente en toi depuis toujours… Tu ouvres les vannes, la tristesse coule, les larmes, le corps s’abandonne. Il y a du plaisir à s’abandonner.

Allez, vas-y, pleure, lecteur, lectrice, mon amie, mon compagnon, pleure, ça fait du bien.

Mais dans ce cas, l’auteur a bien envie de se retirer sur la pointe des pieds, voir pleurer quelqu’un est un peu gênant, les humains se cachent pour pleurer, on nous a tellement appris à ne pas montrer notre faiblesse, à l’enfouir au plus intime ! Pourtant si tu pleures, lectrice, lecteur, c’est bien pour les autres, non ? C’est bien pour qu’ils craquent eux aussi, qu’ils t’entendent, qu’ils te ressentent. L’auteur a envie de te dire : Vas-y, ne te cache pas, pleure pour les autres, jette-leur ta souffrance, ne la garde pas dans ton petto !

Mais en même temps, il ne veut pas rester là comme un gland à te regarder, l’auteur. Si tu pleurais à cause d’une blessure physique, si tu souffrais d’un mal visible, sa conduite serait toute tracée, premiers secours, soutien, il y aurait des gestes à accomplir, mais face à quelqu’un qui pleure, qui pleure sans raison, sans mal apparent, qui pleure de l’intérieur, il est désarmé, impossible de dire: – Allez, tiens, ta tristesse, je t’en prends un peu…

C’est ainsi, les humains sont capables de presque tout échanger ou partager : biens, nourriture, insultes, arguments, coups, baisers, tout se donne et se reçoit, tout s’échange ou se partage, mais pour la tristesse, surtout celle qui vient de profond, l’inexpliquée, alors là, non, c’est chacun la sienne !

Il y a bien quelqu’un dont c’est le métier, de recevoir la tristesse des autres, c’est le psy. Si tu es trop déboussolé, si tu veux parler, consulter, rends-toi au chapitre 10 où tu pourras réfléchir sur toi-même, t’interroger.

Sinon, vas-y ma vieille, mon vieux, pleure, lectrice, lecteur, ma compagne, mon ami, pleure, ça fait du bien. Ne fais pas les choses à moitié. Que ce soit une cataracte, un déluge ! Le Déluge, raconté dans de nombreuses mythologies, ne présente-il pas l’image d’un monde submergé par les larmes ? Bien sûr que ce n’est pas un vulgaire dérèglement climatique qui a produit le Déluge, ce sont les larmes des hommes, lors d’une crise de désespoir collectif, de dépression généralisée, ou de lucidité, peut-être ? Or, un jour le calme est revenu, la surface de l’océan s’est retrouvée plate et lisse et le niveau a commencé à baisser. Mais il a fallu être patient, savoir attendre longtemps avant que l’esquif ne se pose sur le sommet d’une montagne…

Alors, toi aussi sois patient. Avec le temps, va, tout s’en va. Aujourd’hui tu pleures, mais un jour, demain, peut-être, tu sècheras tes larmes, tu respireras un grand coup et tu partiras. Un jour, demain peut-être, ton incommensurable tristesse sera effacée, dissoute comme une vapeur. Et tu partiras. Oui, je te le garantis, tu t’en iras. Mais pas en bagnole, non, ni même à pied. A bicyclette.