61. Visiter

C‘est parti pour ta semaine touristique.

Tu te diriges d’abord vers le lagon. Ton masque et ton tuba t’ouvrent la voie vers les coraux. Ils ne sont pas tous morts, tu palmes un peu et tu les découvres. Tu planes au dessus de ces petits châteaux forts épineux légèrement menaçants pour ta peau nue. Les poissons sont là. Petits, les poissons, le lagon c’est l’océan en miniature, mais ils sont si colorés sur le fond grisâtre ! Si vifs et si lents à la fois ! Tu te sens si bien dans cet autre monde !

Enhardi par ce premier contact tu pousses plus loin, tu t’organises pour plonger hors du lagon, dans le grand bleu. Celui qui a plongé une fois dans l’élément liquide veut aller plus bas, toujours plus bas. La plongée sous-marine, c’est l’escalade vers le bas. A une différence près avec l’escalade vers le haut : la vision. Dans l’eau, elle est toujours singulièrement limitée, le plongeur flotte dans un espace flou, un peu épais, l’inconnu l’encercle. L’escaladeur au contraire s’élève dans une atmosphère de plus en plus limpide, c’est un rapace, un aigle qui surveille le monde d’en haut, tandis que le plongeur est un mollusque qui s’abandonne à l’élément trouble, l’un cherche à contrôler, l’autre cherche à profiter. Et toi, cher lecteur, à quel groupe appartiens-tu ?

Remarque bien, ça n’a aucune importance immédiate : ce soir, tu es invité à une fête. Difficile de passer sur l’île sans être invité à une fête ou à un pique nique. Chaque week-end, les habitants de l’île se divisent en deux groupes : ceux qui font une fête le samedi soir, ceux font un pique-nique le dimanche midi. Oui, c’est vrai, il y a ceux qui font les deux. Et ceux qui pique-niquent le samedi soir. Et ceux qui dansent le dimanche après-midi. Inutile de choisir, le hasard a décidé pour toi, ce sera fête le samedi soir.

Dans le jardin d’une maison près du lagon, il fait doux, on n’a même pas chaud, la nourriture est abondante, la sono est trop forte mais la musique est bonne. Cette île baigne dans la musique. Forcément, on y entend comme partout la soupe internationale, mais on y entend aussi une musique spécifique, inimitable, venue des profondeurs de l’Afrique, musique qui se souvient de l’esclavage, et qui a un sacré tempo, les pieds battent le sol, les reins roulent, les bassins chaloupent, c’est chaud, c’est bien chaud. Or, au moment de la fête, l’humanité se divise en deux groupes, ceux qui dansent et ceux qui restent vers les boissons. Et toi, chère lectrice lecteur, à quel groupe appartiens-tu ?

Remarque bien, ça n’a aucune importance immédiate parce que, même si tu appartiens au premier groupe, l’auteur a décidé que tu vas à un moment donné arrêter de danser et prendre le temps de papoter avec l’un ou l’autre. En sorte que cette soirée fera ricochet avec d’autres soirées et qu’au petit matin tu quitteras cette accueillante maison avec, certes la gueule de bois, mais aussi plusieurs propositions pour la suite et là, ça y est, il va y avoir du choix.

Il y a d’abord Hélène qui t’a proposé de participer le week-end prochain à un atelier d’écriture.

Toi     – Un atelier d’écriture, ici, sur l’Ile ?
Elle    – Pourquoi pas ?
Toi     – Oui, heu… j’aurais pas dû dire ça…
Elle    – Bien sûr, il y a ici comme ailleurs des passionnés d’écriture. En fait, tu trouveras sur l’île des passionnés de tout. Beaucoup de gens ici se lancent à fond dans un sport, dans une musique, une danse, un art, un loisir et celui-ci devient vite pour eux beaucoup plus qu’un loisir. Pour moi c’est un effet de l’insularité : toute île est une prison et les gens s’échappent vers l’intérieur en poussant plus loin leurs passions.

Elle a peut-être raison. En tout cas, un autre passionné t’a proposé, lui, une balade en montagne. Eh bien, lectrice, lecteur, préfères-tu l’écriture ou la balade? Remarque bien, ça n’a aucune importance, inutile de choisir entre les deux, tu trouveras au chapitre 55, à la fois l’atelier d’écriture et la balade, le tout dans le même chapitre, intitulé transpirer, c’est pratique, n’est-ce pas, cher lecteur hésitant?

Mais j’entends protester la lectrice critique qui rappelle que l’auteur a annoncé un choix, d’accord, d’accord, voilà un choix, un bon, gros, choix, solide et fondamental.

Eh oui, lectrice lecteur, ne sentirais-tu pas poindre la nostalgie de ton terroir ? Car en vérité les gens qui posent le pied sur l’île se divisent en deux groupes, ceux qui ne veulent pas y rester et ceux qui ne peuvent plus en partir. Il y en a aussi qui ne voulaient pas y rester et qui ne veulent plus en partir. Il y en a même qui voulaient y rester et qui en sont partis. Il y en a qui sont arrivés il y a trois cents ans, de gré ou de force, et leurs descendants sont toujours là. Alors que d’autres ne sont même pas descendus du bateau quand celui-ci s’est ancré dans la baie. Bref, partir ou rester, telle est la question, particulièrement sur cette île.

Si, sur cette île où tu t’es posé, tu es comme un oiseau pris à la glu, si tu ne veux plus ou ne peux plus en repartir, eh bien, tu peux tout simplement t’y installer, rends-toi tout de suite au chapitre 65. Sinon, pour le retour at home, l’avion t’attend au chapitre 72.