26. Prudence
Donc, lectrice lecteur, tu t’es méfié, tu as refusé.
Ainsi, tu es un prudent, ou une prudente, tu sais que l’habit ne fait pas le moine, qu’il faut se méfier de l’eau qui dort, qu’il n’y a pas de fumée sans feu, que c’est avec du miel qu’on prend les mouches, qu’un bon tien vaut mieux que deux tu l’auras, que chat échaudé craint l’eau froide… Tu ne serres pas la main d’un inconnu, tu n’ouvres pas ta porte à n’importe qui, tu tournes sept fois ta langue avant de parler, tu demandes un devis avant les travaux, tu n’accordes ton amitié à un quidam qu’après avoir mangé avec lui un boisseau de sel et quand tu rencontres quelqu’un de vraiment généreux, tu te demandes ce qu’il va te demander en échange… Mais non, je blague, tu as juste choisi de lire ce chapitre pour voir ce qu’il racontait, mais dans la vie réelle tu n’es pas comme ça. Peu importe. De toute façon la lecture est un acte solitaire et tu choisis ton chemin sans être observé par personne, dans le secret de l’isoloir, en somme.
Bon d’accord, tu as refusé… Qu’est-ce que ton auteur va bien pouvoir faire de toi? Lui, il pensait que tu allais accepter la proposition, c’est à dire l’aventure… Il n’a laissé ouverte la possibilité de dire non que par honnêteté intellectuelle, il s’est dit : là, le lecteur pourrait se méfier mais c’était une supposition théorique, jamais il n’a pensé que quelqu’un dirait : chiche. Et maintenant, il faut qu’il l’écrive, ce satané chapitre de la méfiance.
Où va aller quelqu’un qui se méfie ?
D’abord, il va rentrer chez lui. Mettre fin aux voyages, à la circulation, à l’errance. Le plus vite possible.
Il refermera sa porte avec satisfaction, avec soulagement. Il ne ressortira pas de sitôt. Il va profiter de son cocon douillet, de son intérieur où tout est prévu. Si on sonne, il n’ouvrira pas. Au début, il regardera la télé. Mais bientôt, il refusera cette intrusion du monde extérieur. Les infos sont mensongères, les reportages manipulés, les jeux truqués, les sports, n’en parlons pas, les films sont incroyables ou alors ennuyeux. Et dans son frigo les aliments sont frelatés. Les médicaments sont dangereux. La chair est triste, hélas ! Il a lu tous les livres…
Non, décidément, ce chapitre est sans issue.
Désolé, lectrice lecteur, si tu veux t’en sortir, il faut sortir.
T’ouvrir au monde, à la ville, sortir dans la rue. C’est au chapitre 16.
Tu préfères la campagne ? Pas de problème, la campagne et ses joies simples, c’est au 46.