36. Que faire ?

Lectrice, lecteur, tu es chez toi. Que faire ?

L’auteur ne va tout de même pas te renvoyer au boulot. L’on n’inscrit pas pour assombrir la population (il a lu ça dans La disparition)

D’ailleurs, tu l’as remarqué, le boulot, ce livre lui tourne résolument le dos. C’est vrai, nous vivons une époque où le travail est adoré. Le mot est un sésame qui ouvre toutes les portes. Un type t’emmerde au téléphone pour te vendre des trucs ? Il a une excuse : il fait son travail. Un autre fabrique des armes ou des merdes en plastiques ? Il fait son travail ! Non, le travail, l’auteur ne t’en parlera pas. Et surtout pas le travail salarié, qui est la forme la plus aliénée, la plus oppressante, la plus écœurante d’activité humaine… Quoi ? L’esclavage était pire ? Peut-être, mais le salariat est plus pervers : pour l’esclave, le travail est une humiliation, le salarié au contraire, on veut lui faire croire que le travail est sa rédemption.

Si tu crois que l’auteur va perdre son temps à évoquer la lassitude d’une employée s’escrimant sur son ordinateur contre un nouveau logiciel à la con, ou le corps brisé d’un gars qui a vibré toute la journée sur sa pelleteuse, la détresse d’un médecin désemparé, la solitude d’un prof maltraité, le malaise d’un gendarme qui se rend compte que celui qu’il interpelle ressemble à celui qu’il a été … eh bien, tu te trompes, l’auteur n’en parlera pas… Le repas de midi entre collègues imposés, les temps perdus, les temps d’attente, les trajets, les interminables trajets, il n’en parlera pas… Le patron mesquin, la chef acariâtre, les collègues stupides, la méchanceté, la misère, l’hypocrisie, la jalousie surtout, il n’en parlera pas … La lâcheté, la démission de ceux qui pourraient faire avancer les choses, l’inertie du système, de tous les systèmes, il n’en parlera pas… L’absolue vacuité d’un boulot qu’on ne fait que pour le salaire, non, non, il n’en parlera pas. Sinon, il faudrait qu’il aille plus loin, qu’il aille se promener sur la planète, qu’il rencontre les mineurs africains en train d’extraire sans protection l’uranium de nos centrales, ou les enfants asiatiques qui fabriquent les jouets de nos chers petits. Mais ça l’auteur ne se sent pas de l’écrire. Peut-être n’est-il pas suffisamment convaincu de la force des mots ?

Et toi, lectrice, lecteur, sais-tu ce que tu vas faire ? Tu vas oublier cela. Tu vas faire comme tout le monde : fuir le boulot et partir tranquillement en week-end avec des amis. As-tu remarqué comme les gens partent tranquillement en week-end ? La guerre peut bien empirer au Proche Sud ou au Lointain Est, des humains peuvent bien mourir de faim dans les ordures ou de froid sous les ponts, ou se noyer dans le naufrage de leur boat people ou de leur kwassa kwassa, c’est extraordinaire le nombre de gens qui continuent à partir tranquillement en week-end. On dirait même qu’ils en profitent d’autant mieux qu’ils savent que ça ne va pas durer. Oui, nous vivons la fin d’un monde, la chute de l’empire terrien, et nous faisons comme les autres, nous partons en week-end, nous en profitons, vite, nous en profitons, avant ça pète.

Dis-moi, cher lecteur lectrice, quel genre d’amis, quelle ambiance préfères-tu pour ton week-end pendant que le monde s’écroule ? Les joies simples et familiales du chapitre 46 ? Ou la conversation sérieuse entre amis, je dirai même le débat métaphysique du chapitre 47 ? Non, l’auteur ne propose pas autre chose. Désolé. Il ne reste que ça sur ses étagères. Tu sais, sur le plan humain, les deux groupes sont très chaleureux, chacun à sa façon, tu ne t’ennuieras pas un instant.

Ce choix te déprime ? Tu refuses de choisir ? Pas de problème, lecteur, le cas est prévu, il est traité au chapitre 48, mais je ne te le conseille pas.

Un lecteur de l’année 2020  (intervenant)   – Mais non ! ce qui me déprime ce n’est pas ce choix, c’est que justement en ce moment je suis confiné et je ne peux pas partir en week-end pendant la catastrophe, et ça tu n’en parle pas, hein, l’auteur !
 
L’auteur (lui répondant)    – C’est vrai, le coronavirus, le confinement, tout ça, je n’en parle pas. Forcément puisque tout ces textes ont été écrits avant
Mais toi, lectrice, lecteur, tu peux rattraper le coup. J’espère que tu vas le faire. Rends toi pour cela au chapitre 76.